L'élevage de Brémilliec Bassin d'élevage restauré. Rivière de Pont-l'Abbé. Cliché Pascal Auffret, 2016. L'exploitation, constituée de sept bassins de nourriture et de dégorgement, semble pourtant bien protégée contre le vol. Dans sa déposition, Le Bleis précise qu'elle est cernée "d'un bon fossé [talus] d'environ quatre pieds de hauteur, garni d'une haie d'épines et de saules. On n'y entre que par des barrières dont les unes sont triples et les autres doubles. Il est gardé par un homme bien armé qui couche la nuit dans la cabane sise à cinq pas et par un excellent chien." La sangsue médicinale se conserve assez aisément après son prélèvement dans la nature. Juvénile, elle consomme des larves d'insectes. Adulte, elle peut avaler jusqu'à dix fois son poids en sang et s'en contenter par la suite pendant deux cents jours. En captivité, on l'alimente du sang de chevaux de travail épuisés que l'on promène dans les bassins. Soumise à un jeûne forcé avant sa commercialisation, elle jetterait son dévolu sur les lombrics et les grenouilles. Les techniques de prélèvement et de sélection des vers prêts à la vente ne sont pas décrites dans la procédure. Celles des voleurs, en revanche, nous sont parvenus grâce aux aveux du coupable, Pierre Le Lay, qui précise lors de son interrogatoire "qu'en été on met ses jambes à l'eau, on les détache de suite afin qu'elles n'aient pas le temps de piquer. En hiver on les prenait au moyen d'une couverture à laquelle elles s'attachaient dès qu'on la mettait dans l'eau". Les spécimens trop petits sont rejetés dans les bassins et les autres emportés "dans des pochons de toile mouillés". Une activité rémunératrice L'activité, d'un bon rapport, fait l'objet de spéculations hivernales au moment de la raréfaction de la ressource et de l'exacerbation de la demande. Le Bleis déclare ainsi "vendre habituellement neuf à dix francs le cent de sangsues pendant l'hiver et sept à huit francs pendant l'été." Déjà victime d'une première tentative de vol quelques années plus tôt et de prélèvements clandestins répétés depuis dix-huit à vingt mois il évalue son préjudice "à 6 000 - 7 000 francs pour l'ensemble des larcins". Pour mémoire, les gages de son garde s'élèvent à cette même époque à 30 francs par an. D'autres témoins ou suspects entendus révèlent que le cent de sangsues est ordinairement payé deux francs aux pêcheurs par les revendeurs...et négocié jusqu'à six francs aux voleurs par les receleurs. Les transactions portent sur des milliers de spécimens et les bassins de Brémilliec sont bien garnis. Une revendeuse quimpéroise, Marguerite Cren, un temps soupçonnée de recel, déclare en vendre ordinairement et hônnetement " de trente à quarante mille par an". Le Bleis, évoquant son grand bassin, précise que "dans un quart d'heure on pouvait, avant qu'on le dépeuple, prendre deux à trois mille au moins. Une filière organisée Les divers témoignages conservés dans le dossier mettent en lumière l'existence de réseaux bien organisés de pêcheurs, courtiers, négociants, pharmaciens et voleurs. Un concurrent de Le Bleis, le quimpérois Mathias Le Peoch, qui possède son propre bassin dans le quartier de Bourg-les-Bourgs, déclare utiliser les services d'entremetteurs. Ces derniers, domicilés à Penmarc'h et à Treffiagat, négocient les sangsues auprès des pêcheurs du cru, arpenteurs des vastes étangs et marais littoraux. Marguerite Cren écoule ses sangsues à Vannes, Brest et Lorient où elle a des correspondants, comme en témoignent les diverses attestations de pharmaciens et les rapports des gendarmes présents dans le dossier. Le Peoch "conserve des sangsues pour des envois à Paris et à Nantes", sans plus de précisions cependant sur l'identité de ses acheteurs. Peut-être des hôpitaux ? Les voleurs ne sont pas en reste. Ils s'organisent en famille et recrutent des comparses dans les auberges en vantant les tarifs attractifs des receleurs. Rien en subsiste aujourd'hui, ou presque, des installations de Brémilliec. Seules la fontaine et une partie de la rigole qui alimentaient les bassins, au lieu-dit Toull Gelaoued ( le bassin aux sangsues, en langue bretonne), témoignent de l'ancienne vocation du site. La propriété passe vers 1836 entre les mains du fils de Hyacinthe Le Bleis. Versé, comme son père, dans le négoce mais plus entreprenant, il s'investira notamment dans la meunerie, la féculerie, le sciage du bois et la poldérisation. En 1840, il acquiert des terrains proches de la rivière de Pont-l'Abbé et y crée à son tour un vivier pour l'élevage de sangsues, encore visible aujourd'hui et partiellement restauré.