"Il se trouve, ai-je besoin de le dire, que notre époque est celle d'une immense révolution par les moyens de combat: la force atomique est apparue, c'est elle qui déjà maintenant, à plus forte raison demain, domine tout à l'échelle mondiale qu'il s'agisse de dissuasion ou, le cas échéant, qu'il s'agisse de destruction. Il se trouve aussi que la Marine est exceptionnellement appropriée pour cet armement nucléaire. Elle l'est puisqu'elle agit sur l'Océan, autrement dit dans toutes les régions du Monde, et contre toutes les régions du Monde ; elle l'est parce que sa nature c'est l'ubiquité - la faculté d'être partout - c'est le rayon d'action, c'est la capacité de dispersion et de concentration et puis, c'est le fait qu'elle peut agir avec ses bâtiments que ce soient des vaisseaux ou que ce soient des avions, qu'elle peut agir en employant toutes les armes et spécialement celles dont j'ai parlé et qu'elle peut les employer, privilège insigne, depuis le dessous de la mer". (Extrait de l'allocution prononcée par le Général de Gaulle à l'École navale le 15 février 1965) Le projet "Coelacanthe" : une infrastructure titanesque Une étude particulière du 25 mai 1967 ( conservée au SHD de Brest) décrit le chantier à engager pour permettre l'adaptation de la base de Brest au soutien des Sous-Marins Nucléaires Lance-Engins (SNLE). Sur le plan de l'infrastructure, quatre entités majeures sont identifiées : L'Île Longue est la principale entité. Le commandant de la base de l'Île Longue et du centre des sous-marins de l'Île Longue (CSM Île Longue) prend ses fonctions le 5 janvier 1970. La zone de Guenvenez La Presqu'île de Crozon L'arsenal de Brest Les travaux débutent le 1er août 1967, ils vont durer cinq ans. C'est le chantier le plus important d'Europe. Il va nécessiter 300 000 m3 de béton, 6 000 tonnes d'acier et créer 110 hectares de plates-formes et 11 000 m2 de jetées et de quais. Le site s'étend 123,9 hectares et le blockhaus central demande à lui seul de couler 100 000 tonnes de béton pour, théoriquement, être capable de résister à l'explosion accidentel d'un missile nucléaire. Ces opérations titanesques d'infrastructure sont suivies par la Préfecture maritime et un conseiller du préfet maritime nommé spécialement à cet effet. Tout est prêt le 9 octobre 1970 pour accueillir à l'Île Longue le SNLE "le Redoutable" ( premier sous-marin nucléaire de la Marine nationale lancé par le Général de Gaulle le 29 mars 1967). Le Redoutable Piquet d'honneur sur le pont du Redoutable. © Jean BOUVIER/ECPAD/Défense À la suite de la Seconde Guerre mondiale, la France, veut faire du nucléaire la clé de voûte de l'indépendance énergétique et stratégique du pays. En 1958, le programme nucléaire militaire français est officialisé par le Général de Gaulle. En maîtrisant cette technologie la France s'assure une place aux côtés de deux superpuissances américaine et soviétique. Dans les années 60, il est décidé de doter la marine d'un sous-marin nucléaire lanceur d'engin. Le 29 mars 1967, Le Redoutable est mis à l'eau. Salué à l'aéroport de Maupertus par 101 coups de canon, le Général de Gaulle a rapidement rallié la cale n°3 de l'arsenal de Cherbourg. Dans la tribune officielle, près de laquelle sont déployés 320 fusiliers marins, il écoute le bref discours du ministre des Armées, Pierre Messmer, qui souligne l'importance de l'évènement. Les couleurs sont envoyées sur le pont du sous-marin et la sonnerie "Au Drapeau" retentit. Lorsque le compte à rebours s'arrête à - 2 et que s'affiche le mot "paré", il appuie sur le bouton qui libère les 5 300 tonnes du submersible. Le berceau long de 128 m glisse sur le plan incliné au son de l'hymne national joué par la musique des équipages de la flotte. Il est 10h45. Le Redoutable entre dans la mer, tout droit et par l'arrière, des tôles verticales et 160 tonnes de chaîne fixées sur sa coque le freinant pour qu'il ne heurte pas le quai à 250 m de là. Le succès est total et le chef de l'État laisse libre cours à sa joie, rapidement rejoint par les ouvriers de l'arsenal, leurs familles et les nombreux invités. Accompagné par l'ingénieur Talboutier en charge du chantier et le capitaine de corvette Louzeau, commandant le SNLE, il se fait ensuite présenter les maquettes du submersible et de son poste de commandement navigation-opérations. Puis il visite l'École d'application militaire de l'énergie atomique avant de remettre des médailles du travail à quelques membres d'un personnel qui a déjà consacré 12 millions d'heures au chantier du SNLE. Un évènement solennel inscrit dans un programme au long cours. Patrick Boureille, SHD Pour aller plus loin : Retrouvez sur le site Chemins de mémoire, du Ministère des Armées, un article traitant du lancement du redoutable en date du 29 mars 1967. Ainsi que d'autres ressources en ligne sur les sous-marins nucléaires lance-engin (SNLE). Brest, port base des SNLE : Sous-Marins Nucléaires Lance-Engins Une note du 12 janvier 1963 signée du chef du Service Technique des Constructions et Armes Navales (STCAN) annonce que les SNLE seront basés et entretenus à Brest. Je vous informe que le principe du choix du port de Brest comme port base des sous-marins nucléaires lance-engin a été retenu. L'étude sommaire qui a été faite à l'occasion de la mission à Brest le 17 janvier 1963 de représentant du Département, a permis de prévoir des dispositions générales qui ont été mentionnées au projet Coelacanthe (SHD-Brest , 6 A 1166/3). Le port retenu comme port de base est Brest où les premiers travaux vont débuter en 1965. Il sera le seul port équipé de l'infrastructure nécessaire aux sous-marins nucléaires. Le port base doit être en mesure d'assurer : L'amarrage des sous-marins et la manipulation des engins (Pointe de Recouvrance) L'alimentation électrique des sous-marins Le stockage et l'entretien d'une partie des engins et le stockage d'une partie des têtes nucléaires L'entretien courant et les petits carénages Les grands carénages Le logement des effectifs L'entretien de l'instruction et de l'entraînement des équipages Le projet "Coelacanthe": un fonds d'archives à signaler Les documents fondateurs du projet "Coelacanthe" proviennent de la Préfecture maritime. Ils constituent le fonds "Coelacanthe" qui couvre une période chronologique qui s'étend de 1963 à 1981. Ce fonds documentaire fait l'objet d'un répertoire numérique. Les dossiers sont essentiellement composés de correspondance, d'ordres officiels, d'instructions et circulaires organisant les différentes activités gérées par les unités d'infrastructure, mais aussi de coupures de presse, de photos de plans et schémas. On peut tout particulièrement signaler dans le fonds les études, rapports, notes, instructions et correspondance, plans relatifs au projet "Coelacanthe" (1963-1970) et celles sur l'organisation logistique et militaire du port-base des SNLE (1966-1967). La richesse de ce fonds d'archives et le volume conséquent de production de documents qui en découle ne sont que les reflets d'une organisation particulièrement complexe qui participe au programme Coelacanthe dès sa création en 1962. La lecture attentive de tous ces écrits témoigne du programme ambitieux lancé par le Général de Gaulle et de la puissance d'un État qui a su progressivement mettre en réseaux toutes les forces en présence pour assurer le succès de l'opération "Coelacanthe". 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